Sur la représentation de Brueghel l’Ancien (1525-1569)
Il a neigé. La neige s’est incrustée dans les fibres du tableau de Brueghel, enveloppant le paysage d’une douce lumière, pâle, estompant les reliefs, l’angle des maisons, les personnages. Tout ici est mouvement, les enfants qui glissent sur les étangs glacés, les plus vieux qui avancent avec précaution sur le verglas. Un village au travail.
Au centre, toutefois, enveloppée de bleu sombre, portant sur elle un gros baluchon, une toute jeune femme, immobile, baisse les yeux. Montée sur un âne, accompagnée d’un bœuf, elle suit un homme courbé, muni d’un instrument sans doute destiné à couper du bois… un charpentier.
Marie et Joseph. En chemin pour le recensement à Bethléem.
Et tous allaient se faire recenser, chacun dans sa ville.
Joseph aussi monta de Galilée, de la ville de Nazareth, en Judée, à la ville de David, qui s’appelle Bethléem, parce qu’il était de la maison et de la famille de David, pour se faire recenser avec Marie son épouse, qui était enceinte.
Or, pendant qu’ils étaient là, le temps où elle devait enfanter s’accomplit, et elle mit au monde son fils premier-né, l’emmaillota et le coucha dans une crèche, parce qu’il n’y avait pas de place pour eux dans l’hôtellerie.
« Évangile selon St Luc 2, 3-6 »
Pour Marie, c’est la fin de l’attente (l’Avent pour les chrétiens, plus tard !), au moment où dans une grande sérénité, sans emphase, Jésus, le fils de Dieu, se fera chair, parmi les siens.
- cadeaux, lumières, fête de famille ou simple fiesta gastronomique, on risque d’oublier le long cheminement, perdu dans l’histoire, préparant cet événement que Brueghel, dans le froid de ses Flandres nous remémore.
- Bethléem – qu’importe aujourd’hui, la ville a disparu – se présente à nous, dans la transmutation d’une peinture attachante. Un village, où aucun détail ne manque.
À gauche, l’auberge vers laquelle la foule se presse, avant d’envahir les chambres . Et le jeune couple “dormira” dans une étable ; et la vie quotidienne se poursuit avec ses exigences.
On tue le cochon, ramasse du bois… on vaque à ses occupations. Au fond, le château est en ruine. Rien là de bien troublant, de bien divin, d’extraordinaire. Pourtant, Brueghel, dans ses toiles les plus célèbres, est connu pour son don extraordinaire de métaphysicien. “Le triomphe de la mort” est à couper le souffle, et d’un simple soleil rouge caché derrière les branches sèches d’un arbre tout simple étire à l’infini notre regard fini.
Sans doute, le choix du peintre en cette scène, est-il délibéré. À grande distance d’un surnaturel trop clinquant. Point de rayonnement spectaculaire. Pas le moindre signe distinctif.
Dieu ? Un petit enfant à naître bientôt, caché encore ici sous le voile bleu de sa mère. Plus qu’une fête, une joie, des chants joyeux. Le mystère à décrypter…
Annick Rousseau