Pèlerinage 2018 : homélie du Cardinal Sarah à Chartres

Chers Pèlerins de Chartres,

« La lumière est venue dans le monde », nous dit aujourd’hui Jésus dans l’Évangile, « et les hommes ont préféré les ténèbres ».

Et vous, chers pèlerins, avez-vous accueilli l’unique lumière qui ne trompe pas : celle de Dieu ? Vous avez marché pendant trois jours, vous avez prié, chanté, souffert sous le soleil et sous la pluie, avez-vous accueilli la lumière dans vos cœurs ? Avez-vous réellement renoncé aux ténèbres ? Avez-vous choisi de poursuivre la Route en suivant Jésus, qui est la Lumière du monde ?
Chers amis, permettez-moi de vous poser cette question radicale, car si Dieu n’est pas notre lumière, tout le reste devient inutile. Sans Dieu tout est ténèbres !
Dieu est venu jusqu’à nous, il s’est fait homme. Il nous a révélé l’unique vérité qui sauve, il est mort pour nous racheter du péché et, à la Pentecôte, il nous a donné l’Esprit Saint, il nous a offert la lumière de la foi… mais nous préférons les ténèbres !
Regardons autour de nous ! La société occidentale a choisi de s’organiser sans Dieu. La voilà maintenant livrée aux lumières clinquantes et trompeuses de la société de consommation, du profit à tout prix, de l’individualisme forcené.
Un monde sans Dieu est un monde de ténèbres, de mensonge et d’égoïsme !
Sans la lumière de Dieu, la société occidentale est devenue comme un bateau ivre dans la nuit ! Elle n’a plus assez d’amour pour accueillir des enfants, les protéger dès le sein de leur mère, les préserver de l’agression de la pornographie.
Privée de la lumière de Dieu, la société occidentale ne sait plus respecter ses vieillards, accompagner vers la mort ses malades, faire une place aux plus pauvres et aux plus faibles. Elle est livrée aux ténèbres de la peur, de la tristesse et de l’isolement. Elle n’a plus que le vide et le néant à offrir. Elle laisse proliférer les idéologies les plus folles. Une société occidentale sans Dieu peut devenir le berceau d’un terrorisme éthique et moral plus virulent et plus destructeur que le terrorisme des Islamistes. Souvenez-vous que Jésus nous a dit : « Ne craignez rien de ceux qui tuent le corps, mais ne peuvent tuer l’âme ; craignez plutôt Celui qui peut perdre dans la géhenne à la fois l’âme et le corps » (Mt 10, 28).

Chers amis, pardonnez-moi cette description. Mais il faut être lucide et réaliste. Si je vous parle ainsi, c’est parce que, dans mon cœur de prêtre, de pasteur, je ressens de la compassion pour tant d’âmes égarées, perdues, tristes, inquiètes et seules !

Qui les conduira à la lumière ?
Qui leur montrera le chemin de la vérité, le seul vrai chemin de liberté qui est celui de la Croix ?
Va-t-on les livrer à l’erreur, au nihilisme désespéré, ou à l’islamisme agressif sans rien faire ?
Nous devons clamer au monde que notre espérance a un nom : Jésus Christ, l’unique Sauveur du monde et de l’humanité !
Nous ne pouvons plus nous taire !
Chers Pèlerins de France, regardez cette cathédrale ! Vos ancêtres l’ont construite pour proclamer leur foi !
Tout, dans son architecture, sa sculpture, ses vitraux, proclame la joie d’être sauvé et aimé par Dieu. Vos ancêtres n’étaient pas parfaits, ils n’étaient pas sans péchés. Mais ils voulaient laisser la lumière de la foi éclairer leurs ténèbres !

Aujourd’hui, toi aussi, Peuple de France, réveille-toi ! Choisis la lumière ! Renonce aux ténèbres !
Comment faire ?
L’Évangile nous répond : « celui qui agit selon la vérité vient à la lumière ». Laissons la lumière du Saint-Esprit illuminer nos vies concrètement, simplement, et jusque dans les régions les plus intimes de notre être profond.
Agir selon la vérité, c’est d’abord mettre Dieu au centre de nos vies, comme la Croix est le centre de cette cathédrale.
Mes frères, choisissons de nous tourner vers Lui, chaque jour !
En cet instant, prenons l’engagement de garder tous les jours quelques minutes de silence pour nous tourner vers Dieu, pour lui dire « Seigneur règne en moi ! Je te donne toute ma vie ! »
Chers Pèlerins, sans silence, il n’y a pas de lumière. Les ténèbres se nourrissent du bruit incessant de ce monde, qui nous empêche de nous tourner vers Dieu.
Prenons exemple sur la liturgie de la Messe de ce jour. Elle nous porte à l’adoration, à la crainte filiale et amoureuse devant la grandeur de Dieu. Elle culmine à la Consécration où tous ensemble, tournés vers l’autel, le regard dirigé vers l’hostie, vers la croix, nous communions en silence dans le recueillement et l’adoration.
Chers frères, aimons ces liturgies qui nous font goûter la présence silencieuse et transcendante de Dieu, et nous tournent vers le Seigneur.

Chers frères prêtres, je veux m’adresser spécialement à vous. Le Saint Sacrifice de la Messe est le lieu où vous trouverez la lumière pour votre ministère. Le monde où nous vivons nous sollicite sans cesse. Nous sommes constamment en mouvement, sans nous préoccuper de nous arrêter et de prendre le temps pour nous rendre dans un endroit désert nous reposer un peu, dans la solitude et le silence, en compagnie du Seigneur. Le danger serait grand de nous prendre pour des “travailleurs sociaux”. Nous ne porterions plus alors au monde la Lumière de Dieu, mais notre propre lumière, qui n’est pas celle qu’attendent les hommes. Ce que le monde attend du prêtre : c’est Dieu et la Lumière de sa Parole proclamée sans ambiguïté, ni falsification.

Sachons nous tourner vers Dieu dans une célébration liturgique recueillie, pleine de respect, de silence et empreinte de sacralité. N’inventons rien dans la liturgie. Recevons tout de Dieu et de l’Eglise. N’y cherchons pas le spectacle ou la réussite. La liturgie nous l’apprend : Être prêtre, ce n’est pas d’abord faire beaucoup. C’est être avec le Seigneur, sur la Croix ! La liturgie est le lieu où l’homme rencontre Dieu face à face. La liturgie est le moment le plus sublime où Dieu nous apprend à « reproduire en nous l’image de son Fils Jésus Christ, afin qu’il soit l’Aîné d’une multitude de frères » (Rm 8, 29). Elle n’est pas et ne doit pas être une occasion de déchirement, de lutte ou de dispute. Dans la forme ordinaire, tout comme dans la forme extraordinaire du Rite romain, l’essentiel est de nous tourner vers la Croix, vers le Christ, notre Orient, notre Tout et notre unique Horizon ! Que ce soit dans la forme ordinaire ou la forme extraordinaire, sachons toujours célébrer, comme en ce jour, selon ce qu’enseigne le Concile Vatican II : avec une noble simplicité, sans surcharges inutiles, sans esthétique factice et théâtrale, mais avec le sens du sacré, le souci premier de la Gloire de Dieu, et avec un véritable esprit de fils de l’Église d’aujourd’hui et de toujours !
Chers frères prêtres, gardez toujours cette certitude : être avec le Christ sur la Croix, c’est cela que le célibat sacerdotal proclame au monde ! Le projet, de nouveau émis par certains, de détacher le célibat du sacerdoce en conférant le sacrement de l’Ordre à des hommes mariés (les « viri probati ») pour, disent-ils, « des raisons ou des nécessités pastorales », aura pour graves conséquences, en réalité, de rompre définitivement avec la Tradition apostolique. Nous allons fabriquer un sacerdoce à notre taille humaine, mais nous ne perpétuons pas, nous ne prolongeons pas le sacerdoce du Christ, obéissant, pauvre et chaste. En effet, le prêtre n’est pas seulement un « alter Christus », mais il est vraiment « ipse Christus », il est le Christ lui-même ! Et c’est pour cela qu’à la suite du Christ et de l’Église, le prêtre sera toujours un signe de contradiction !

A vous, chers chrétiens, laïcs engagés dans la vie de la Cité, je veux dire avec force : « n’ayez pas peur ! N’ayez pas peur de porter à ce monde la lumière du Christ ! » Votre premier témoignage doit être votre propre exemple : agissez selon la Vérité ! Dans votre famille, votre profession, vos relations sociales, économiques, politiques, que le Christ soit votre Lumière ! N’ayez pas peur de témoigner que votre joie vient du Christ ! Je vous en prie, ne cachez pas la source de votre espérance ! Au contraire, proclamez ! Témoignez ! Évangélisez ! L’Église a besoin de vous ! Rappelez à tous que seul « le Christ crucifié révèle le sens authentique de la liberté ! »(1) . Avec le Christ, libérez la liberté aujourd’hui enchaînée par des faux droits humains, tous orientés vers l’autodestruction de l’homme.

A vous, chers parents, je veux adresser un message tout particulier. Être père et mère de famille dans le monde d’aujourd’hui est une aventure pleine de souffrances, d’obstacles et de soucis. L’Église vous dit : « Merci » ! Oui, Merci pour le don généreux de vous-mêmes !
Ayez le courage d’élever vos enfants à la lumière du Christ. Il vous faudra parfois lutter contre le vent dominant, supporter les moqueries et les mépris du monde. Mais nous ne sommes pas ici pour plaire au monde ! « Nous proclamons un Christ crucifié, scandale pour les juifs et folie pour les païens » (1 Co 1, 23-24)
N’ayez pas peur ! Ne renoncez pas ! L’Église, par la voix des Papes – tout spécialement depuis l’encyclique Humanae Vitae – vous confie une mission prophétique : témoigner devant tous de notre confiance joyeuse en Dieu, qui nous a fait gardiens intelligents de l’ordre naturel. Vous annoncez ce que Jésus nous a révélé par sa vie même : « La liberté s’accomplit dans l’amour, c’est à dire le don de soi »(2) .
Chers Pères et Mères de famille, l’Église vous aime ! Aimez l’Église ! Elle est votre Mère. Ne vous joignez pas à ceux qui se moquent d’elle, parce qu’ils ne voient que les rides de son visage vieilli par les siècles de souffrance et d’épreuves. Aujourd’hui encore, elle est belle et rayonne de sainteté.

A vous enfin je veux maintenant m’adresser, vous, les plus jeunes qui êtes ici nombreux !
Toutefois, je vous prie d’écouter d’abord un « Ancien », qui a plus d’autorité que moi. Il s’agit de l’évangéliste saint Jean. Au-delà de l’exemple de sa vie, saint Jean a également laissé un message écrit aux jeunes. Dans sa Première Lettre, nous lisons ces paroles émouvantes d’un Ancien aux jeunes des Eglises qu’il avait fondées. Ecoutez sa voix pleine de vigueur, de sagesse et de chaleur : « Je vous l’ai écrit, à vous, les plus jeunes : vous êtes forts, la Parole de Dieu demeure en vous, vous avez vaincu le Mauvais. N’aimez pas le monde, ni ce qui est dans le monde » (1 Jn 2, 14-15) (3).
Le monde que nous ne devons pas aimer, commentait le Père Raniero Cantalamessa, dans son homélie du Vendredi Saint 2018, et auquel nous ne devons pas nous conformer, n’est pas, nous le savons bien, le monde créé et aimé par Dieu, ce ne sont pas les personnes du monde vers lesquelles, au contraire, nous devons toujours aller, surtout les pauvres et les derniers des pauvres, pour les aimer et les servir humblement… Non ! Le monde à ne pas aimer est un autre monde ; c’est le monde tel qu’il est devenu sous la domination de Satan et du péché. Le monde des idéologies qui nient la nature humaine et détruisent la famille… Les structures onusiennes, qui imposent une nouvelle éthique mondiale, jouent un rôle décisif et sont devenues aujourd’hui une puissance écrasante, qui se propage par la voie des ondes à travers les possibilités illimitées de la technologie. Dans beaucoup de pays occidentaux, c’est un crime aujourd’hui de refuser de se soumettre à ces horribles idéologies. C’est ce que nous appelons l’adaptation à l’esprit du temps, le conformisme. Un grand poète croyant britannique, du siècle dernier, Thomas Stearns Eliot a écrit trois versets qui en disent davantage que des livres entiers : « Dans un monde de fugitifs, celui qui prend la direction opposée aura l’air d’un déserteur ». Chers jeunes chrétiens, s’il est permis à un « Ancien », comme l’était saint Jean, de s’adresser directement à vous, je vous exhorte moi aussi, et je vous dis : vous avez vaincu le Mauvais ! Combattez toute loi contre nature, que l’on voudrait vous imposer, opposez-vous à toute loi contre la vie, contre la famille. Soyez de ceux qui prennent la direction opposée ! Osez aller à contre-courant ! Pour nous, chrétiens, la direction opposée n’est pas un lieu, c’est une Personne, c’est Jésus Christ, notre Ami et notre Rédempteur. Une tâche vous est particulièrement confiée : sauver l’amour humain de la dérive tragique dans laquelle il est tombé : l’amour, qui n’est plus le don de soi-même, mais seulement la possession de l’autre – une possession souvent violente tyrannique -. Sur la Croix, Dieu s’est révélé comme « agape », c’est-à-dire comme l’amour qui se donne jusqu’à la mort (4). Aimer vraiment, c’est mourir pour l’autre. Comme ce jeune gendarme, le colonel Arnaud Beltrame !

Chers jeunes, vous éprouvez souvent sans doute, dans votre âme, la lutte des ténèbres et de la lumière. Vous êtes parfois séduits par les plaisirs faciles du monde.
De tout mon cœur de prêtre, je vous le dis : n’hésitez pas !
Jésus vous donnera tout ! En le suivant pour être des Saints, vous ne perdrez rien ! Vous gagnerez la seule Joie qui ne déçoit jamais !
Chers jeunes, si, aujourd’hui, le Christ vous appelle à le suivre comme prêtre, comme religieux ou religieuse, n’hésitez pas ! Dites lui : « fiat » , un oui enthousiaste et sans condition !
Dieu veut avoir besoin de vous, quelle grâce ! Quelle joie !
L’Occident a été évangélisé par les Saints et les Martyrs. Vous, jeunes d’aujourd’hui, vous serez les saints et les martyrs que les nations attendent pour une Nouvelle Evangélisation ! Vos patries ont soif du Christ ! Ne les décevez pas ! L’Église vous fait confiance !
Je prie pour que nombreux parmi vous répondent, aujourd’hui, durant cette Messe, à l’appel de Dieu à le suivre, à tout laisser pour lui, pour sa lumière.
Chers jeunes n’ayez pas peur, Dieu est le seul ami qui ne vous décevra jamais !

Quand Dieu appelle, il est radical. Cela signifie qu’Il va jusqu’au bout, jusqu’à la racine. Chers amis, nous ne sommes pas appelés à être des chrétiens médiocres ! Non, Dieu nous appelle tout entier jusqu’au don total, jusqu’au martyr du corps ou du cœur !
Cher peuple de France, ce sont les monastères qui ont fait la civilisation de ton pays ! Ce sont les hommes et les femmes qui ont accepté de suivre Jésus jusqu’au bout, radicalement, qui ont construit l’Europe chrétienne. Parce qu’ils ont cherché Dieu seul, ils ont construit une civilisation belle et paisible, comme cette cathédrale.
Peuple de France, peuples d’Occident, vous ne trouverez la paix et la joie qu’en cherchant Dieu seul ! Retournez à vos racines ! Retournez à la Source ! Retournez aux monastères ! Oui, vous tous, osez aller passer quelques jours dans un monastère ! Dans ce monde de tumulte, de laideur et de tristesse, les monastères sont des oasis de beauté et de joie. Vous y ferez l’expérience qu’il est possible de mettre concrètement Dieu au centre de toute sa vie. Vous y ferez l’expérience de la seule joie qui ne passe pas !
Chers pèlerins, renonçons aux ténèbres. Choisissons la lumière ! Demandons à la Très Sainte Vierge Marie de savoir dire « fiat », c’est-à-dire oui, pleinement, comme elle, de savoir accueillir la lumière de l’Esprit Saint comme elle. En ce jour où, grâce à la sollicitude du Saint-Père le Pape François, nous fêtons Marie, Mère de l’Église, demandons à cette Mère Très Sainte d’avoir un cœur comme le sien, un cœur qui ne refuse rien à Dieu, un cœur brûlant d’amour pour la gloire de Dieu, un cœur ardent à annoncer aux hommes la Bonne Nouvelle, un cœur généreux, un cœur large comme le cœur de Marie, aux dimensions de l’Église, aux dimensions du Cœur de Jésus !

Ainsi soit-il !

Robert Card. Sarah

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